Une riche entrée en matière

Mardi 14 Décembre

Pour la seconde fois en deux jours, le mercure s’est hissé jusqu’à 7.7°C sans redescendre sous le seuil des 0°C dans l’abri de mesures météo. Les journées des 13 et 14 Décembre 2021 se placent ainsi en sixième position, ex-æquo dans le classement des températures maximales observées au mois de Décembre en Terre Adélie.
Nous commençons notre mission avec une situation météorologique exceptionnelle. Difficile d’apprécier pleinement la douceur de cette masse d’air sans le recul de quelques mois sur place, surtout quand on débarque des tropiques… Cependant, pas question de relier cet épisode au changement climatique global, puisque son influence sur les températures observées en Antarctique n’est pas (« encore ? ») significatif.

Dans la manchotière située à la sortie du bureau météo, les Adélie eux souffrent de cette chaleur. Ils essaient tant bien que mal de réguler leur température corporelle en ouvrant le bec. Il s’agit pourtant de continuer à couver malgré la fraîcheur de l’océan qui les appelle, à quelques glissades de là. Un skua perché sur l’ancienne plate-forme hélicoptère guette la moindre inattention. En fin d’après-midi, la piste qui passe devant le garage pour mener au Lion est transformée en petit ruisseau par la fonte des neiges.

Jeudi 16 Décembre

Un calme insolite me réveille peu avant 6h. Encore à moitié ensommeillé, je peste déjà intérieurement. On avait prévu la tempête et il ne semble pas y avoir un souffle de vent dehors ! Je tends l’oreille sans daigner ouvrir encore les yeux… Et le calme cède brusquement la place à une violente rafale qui s’écrase sur la façade du dortoir d’hiver. Je suis peut-être le seul occupant à me réjouir du vacarme qui s’ensuit, jusqu’à ce que le vent forcisse encore un peu plus et se mette à faire vibrer doucement le sol et les murs de métal. Le bâtiment 42 en a vu d’autres, mais la violence des variations du vent catabatique reste impressionnante.

Lâcher de ballon, pendant une accalmie temporaire

Le gigantesque désert de glace à quelques kilomètres catalyse la force du vent qui le dévale. Ce qui n’est qu’une légère brise au sommet de la calotte polaire accélère graduellement en coulant le long des pentes glacées du continent Antarctique. Quand les conditions sont favorables, l’air peut s’écouler ainsi jusqu’à la côte en atteignant des vitesses dépassant régulièrement les 180km/h.
Les modèles météorologiques sur lesquels nous nous appuyons pour établir nos prévisions appréhendent de mieux en mieux ces phénomènes. Mais c’est au prévisionniste d’adapter les résultats numériques à l’échelle de l’Archipel de Pointe Géologie. Il n’est pas rare que le vent prévu soit en-deça de la réalité… ou que les rafales s’arrêtent net sur le continent sans déferler sur l’île des Pétrels !

Ce n’est qu’en assimilant les conseils et recettes des précédentes équipes, en forgeant aussi notre propre expérience, que notre expertise va se construire… Il faut donc s’attendre à quelques imprécisions, notamment pendant cette période d’apprentissage. Quelques années de prévisions sur La Réunion, dont les fameux « micro-climats » sont autant de chausse-trappes, m’ont appris à accepter les ratés et à essayer d’en tirer des enseignements. Je suis aussi venu ici pour me confronter à ce passionnant jeu de piste.

Vendredi 17 Décembre

Notre équipe a repris de bon cœur la tradition instaurée deux ans plus tôt et le tirage au sort a désigné le prénom de notre médecin pour baptiser cette première tempête de la mission. Aujourd’hui, Céline joue donc encore un peu les prolongations avec des rafales dépassant toujours 150km/h en matinée. Celles-ci vont rendre le lâcher de ballon-sonde un peu sportif ! Pendant qu’Emmanuel et Bertrand préparent le matériel, j’essaie de capturer l’ambiance de ce matin de fin de tempête sur DDU depuis la rambarde entourant le bâtiment technique. L’air est resté encore relativement chaud ce qui rend les conditions facilement supportables malgré la vitesse du vent.

Les irisations des embruns, sous les rafales

La surface de la mer est striée de blanc et les plus fortes rafales arrachent des gerbes d’embruns à la crête des vagues, qui s’irisent quelques secondes plus tard en passant dans les rayons du soleil. Les pétrels des neiges voltigent le long de la falaise, les manchots bravent le coup de vent sans broncher, absorbés par leur mission. Les premiers poussins Adélie sont désormais attendus d’un jour à l’autre.

A rebrousse-plume

7 Responses

  • Si vous avez le temps…. c’est sans doute pour vous une question idiote mais à quoi sert les lâcher de ballon sur DDU…. merci.

    • Bonjour, le lâcher de ballon permet d’établir un profil vertical de l’atmosphère au-dessus de DDU : température, humidité, direction et vitesse du vent… Ces paramètres sont ensuite assimilés dans les modèles numériques de l’atmosphére pour les recaler sur un état initial le plus proche possible de la réalité, avant de relancer un cycle de prévision. Comme il y a peu de stations de mesure dans la région, ces données quotidiennes sont essentielles pour le bon fonctionnement des modèles. De plus, ces séries de données peuvent aussi servir aux chercheurs pour étudier l’évolution de l’atmosphère. Au printemps, avec des sondes différentes, on surveille aussi l’évolution du trou de la couche d’ozone… Je ferais probablement un article à ce sujet pendant l’hivernage, une fois que le rythme de travail aura ralenti car beaucoup de monde posent cette question, même ici à DDU !

      • Merci beaucoup, c’est très gentil d’avoir pris le temps de répondre. Hâte de vous lire encore, c’est passionnant !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *