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Le cap des Barres depuis la passerelle de l’Astrolabe, DDU s’éloigne

Pour voir la vidéo retraçant le retour raconté dans les lignes ci-dessous, c’est ici !

Samedi 17 Décembre 2022

Au-dessus de l’hélipad vert foncé, les eaux limpides de la grande polynie côtière s’étirent à l’infini dans la lumière crue du jour polaire. Une mince ligne blanche reste encore discernable à l’horizon. L’Astrolabe trace fièrement sa route plein Nord, sous le regard courroucé des grands icebergs. Le continent Antarctique disparaît doucement à notre vue. A mesure que les milles nautiques défilent, les rangs de ces grandes sentinelles se font de plus en plus clairsemés. Bientôt, il ne subsiste plus que quelques silhouettes lointaines, qui brisent la plate monotonie du large. Devant l’étrave, un PGA plane au ras des flots en quête de nourriture. Les puissants moteurs diesels nous ont déjà poussé à l’extérieur du cercle polaire, et vers le monde « civilisé« .

Mes deux acolytes météo

Mon cœur se serre évidemment à la pensée de quitter ces lieux mythiques, et désormais familiers, sans espoir tangible de retour. Mais cette part de nostalgie est contrebalancée par le soulagement de partir retrouver mes proches. Et puis finalement, une fois que la Terra Australis a disparu pour de bon, ces émotions ambivalentes laissent la place à un puissant sentiment de sérénité. Ça y est, nous l’avons fait, la montagne est gravie.
On a marché sur la Lune ! Nous avons hiverné en Terre Adélie !

Dimanche 18 Décembre 2022

Un grand choc contre la coque me tire du sommeil léger qui m’avait déjà ramené à Pétrels… Non, je ne suis pas en train de passer derrière le dortoir été pour descendre au mât Iono… Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits dans l’ambiance sombre de la cabine. Un coup d’œil rapide à ma montre m’apprend qu’il n’est que 00h02. Un long crissement retentit de nouveau. Je soulève le cache-hublot pour m’assurer que nous sommes bien en train de traverser le pack, avant de filer enfiler mon pantalon.

La vue depuis la passerelle est imprenable. Les habitants du pack sont venus nous souhaiter un bon voyage retour… Ces virtuoses des vents australs virevoltent autour du bateau. Pétrels des neiges, Damiers du cap, Pétrels géants, aucun ne nous a fait faux bond. Le ciel se pare d’un mauve éthéré, l’astre du jour ayant glissé sous l’horizon. Une courte houle soulève les morceaux de banquise épars, et donne du relief à cette mosaïque noire et blanche. L’air sent le sel. Quelques gerbes d’embruns entre les floes révèlent de temps à autres la présence des discrètes baleines de Minck. Les hauts-parleurs du poste de pilotage diffusent Bob Dylan en sourdine.

How does it feel, how does it feel?
To be without a home
Like a complete unknown, like a rolling stone

Je veille encore jusqu’à 2h30 du matin… Ce n’est pas tous les jours que l’on traverse le pack antarctique. Les discussions avec le pilote des glaces se font à voix basse, renforçant l’atmosphère feutrée de la passerelle.

Je me réveille à 11h, ballotté dans ma banette par le roulis. La mer a profité de notre sortie du pack pour nous cueillir. Malgré le cachet avalé en hâte au réveil, je ne trouve pas le courage de monter à l’étage pour me restaurer… Une petite pomme fera l’affaire.

Je suis finalement sorti une petite demie-heure sur le pont, pour prendre l’air. Malgré les mouvements amples du bateau, cette rapide bouffée d’air frais me redonne un peu d’allant. Pas courageux pour deux sous, je retourne bien vite sommeiller dans mon accueillante couchette, calé en chien de fusil contre la paroi.

Lundi 19 Décembre

La mer s’est calmée… Pour ce voyage retour, j’ai la chance de m’être amariné sans avoir à subir les effets secondaires du fameux patch de scopolamine. Dehors, l’océan passe du gris au bleu marine pour une petite demie-heure alors que nous traversons une tâche de soleil. Un petit puffin file au ras des vagues, longeant la coque à bâbord. La mer redevient vite terne sous le ventre arrondi des stratocumulus océaniques. Les cinquantièmes ne font pas honneur à leur réputation aujourd’hui. Le technicien chargé des forages de Concordia nous fait remarquer avec malice qu’ils sont même plutôt chuchotants… Et je dois bien avouer que ce n’est pas pour me déplaire !

Autoportrait.
Mardi 20 Décembre 2022
L’Albatros Royal

Avec un peu de patience, il est facile de repérer les grands planeurs qui croisent au-dessus des mers du Sud. Portés par leurs ailes de géant, les Albatros se déplacent sur de grandes distances en ne consommant que peu d’énergie. Il n’est pas rare qu’ils effectuent successivement deux circumnavigations du pôle Sud, avant de se résigner à se poser sur une des îles sub-antarctiques. Ce matin, un Albatros Royal a cédé à sa curiosité et est venu inspecter le grand bateau rouge. Jimmy et moi étions à l’affût pour tenter d’immortaliser cette courte entrevue avec le souverain des lieux. Malheureusement, je manque un peu d’allonge pour ce type de photos… Il va falloir se réhabituer à ne pas avoir la vie sauvage à moins de quelques mètres et sur le pas de la porte !

Jeudi 22 Décembre 2022

Le brise-glace remonte doucement le long de la côte de Tasmanie, il est 7h du matin. Le drapeau australien est hissé au moment où le navire pénètre dans le havre de Storms Bay. Les silhouettes des grands eucalyptus se détachent nettement en haut des falaises de South Bruny. Que cela fait du bien de voir des arbres en feuilles et en branches ! Nos odorats sevrés de senteurs végétales depuis plus d’un an captent avec une étonnante acuité leur lourd parfum. Même à cette distance, ces odeurs d’humus et de verdure ont un petit côté enivrant.

Deux grands dauphins surgissent alors des profondeurs, en un bond parfaitement synchronisé. Il ne s’agissait visiblement que d’éclaireurs. Un contingent d’une vingtaine d’individus vient bientôt nager au devant du bateau, jouant dans la vague soulevée par la grande étrave renforcée. C’est l’occasion de saisir quelques clichés de leurs grands corps fuselés, faits pour filer à toute vitesse sous les flots.

Saisi au vol

Ce soir, l’Astrolabe est au mouillage dans la North-West Bay, nichée au débouché Nord du canal d’Entrecasteaux. Les braises du barbecue posé sur la plage arrière rougeoient encore dans la pénombre qui s’installe. Le Mt Wellington veille toujours patiemment au-dessus de la région. Il nous faut attendre qu’un bateau de croisière appareille, afin de pouvoir accoster demain sur le Macquarie Pier d’Hobart. Malgré la frustration de savoir la terre si proche (et ses savoureuses potions houblonnées), chacun savoure ces instants suspendus aux portes de la civilisation. Les discussions se font par petits groupes, dans une atmosphère adoucie par la lumière orangée des lampes au sodium. Les phares d’un pick-up percent l’obscurité sur la berge, à quelques centaines de mètres à peine.

Demain soir, nous poserons le pied à terre à l’endroit exact où notre aventure avait commencé, 13 mois plus tôt.

One Response

  • Et ben non Adrien, c’était pas le dernier…
    Merci beaucoup, trop bien.
    Et M. Manu et Loic sont très beaux.
    Mille mercis encore et toujours pour vos fabuleux Post.

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