Chroniques d’un printemps polaire

Coucher de soleil sur le dortoir hiver
Samedi 1er Octobre 2022

Depuis la fin du mois de septembre, l’indice UV indiqué par le modèle européen CAMS ne fait qu’augmenter. Comme tous les ans, la destruction de l’ozone stratosphérique s’est relancée avec le retour du soleil, faisant apparaître le fameux « trou dans la couche d’ozone » au-dessus de l’Antarctique. Trente-cinq ans après leur interdiction par le protocole international de Montréal, les gaz CFC continuent de déséquilibrer le cycle naturel de l’ozone. Ils sont responsables de l’apparition saisonnière de cette faille dans le bouclier anti-UV naturel de notre planète. Pour nous, l’application de crème solaire est désormais indispensable avant toute sortie, d’autant que la banquise provoque une forte réverbération qui amplifie les risques de coup de soleil.

Modélisation de la concentration en Ozone en Antarctique, via Copernicus

En coopération avec Étienne, notre Lidariste, nous augmentons la fréquence des lâchers de ballons Ozone à deux par mois. Plus gros que nos ballons habituels, ils emportent une sonde de plus d’1kg à une altitude supérieure à 30km d’altitude. Ces mesures directes permettent ainsi de déterminer la concentration d’Ozone sur la colonne d’atmosphère qui nous surplombe. Cette année est particulièrement intéressante du fait de l’éruption du Hunga Tonga le 15 janvier dernier. En effet, les particules soufrées que le volcan a injecté dans la stratosphère peuvent faciliter la formation de nuages stratosphériques polaires. Ces nuages nacrés catalysent ensuite la destruction de l’Ozone par les CFC. Cette interaction fait actuellement l’objet d’intenses efforts de recherche, et nos mesures peuvent aider à mieux comprendre ces processus complexes.

Coupe verticale de l’évolution du trou dans la couche d’ozone au cours de l’hiver dernier, via Copernicus
Dimanche 02 Octobre 2022

Dans la lumière dorée du soir adélien, les pétrels des neiges s’invectivent encore. Le sujet des disputes reste inchangé : à qui doivent revenir les meilleurs emplacements ? La falaise sous le hangar à ballon est un des théâtres de ces joutes verbales et aériennes. Posté à la rambarde, j’essaie de figer en vol quelques oiseaux. Les pétrels volent en suivant le même circuit, facilitant la prise de ces clichés. Soudain, l’île des Pétrels passe à l’ombre du continent. Au-dessus du Cap Géodésie, un liseré orange souligne la ligne d’horizon, penchée par la déclivité de la calotte glaciaire. Une légère fumerolle de catabatique s’allume un instant. Le calme des grands espaces envahit l’archipel. Les manchots Adélie ne sont pas encore arrivés…

Lundi 03 Octobre 2022

A la faveur du net réchauffement observé en ce début de mois, les Empereurs sont remontés loin au-dessus du Nunatak. Les plus audacieux explorent même la lisière des grands séracs qui marquent le front du glacier de l’Astrolabe. La colonie s’est d’ailleurs fractionnée en plusieurs groupes, de moins en moins compacts. Les poussins ont bien grandi, ils sont désormais plus difficiles à attraper pour les PGAs. Constamment sur le qui-vive, ils surveillent constamment leur environnement. Leur attitude alerte contraste avec le flegme affiché par les adultes. De temps à autre, une petite file indienne de poussins se met en tête de rejoindre la foule d’en face. Quelques adultes font la sieste au soleil, paresseusement allongés dans la neige.

Un peu plus bas, une crevasse s’ouvre au pied du Nunatak. Le calme météorologique des derniers jours a permis la formation de fleurs de givre sur les bords de cette grande faille. Dans ces petits interstices abrités de la brise, l’humidité de l’air passe directement à l’état de glace par condensation solide. Ce processus tricote patiemment cette délicate dentelle de givre.

Mercredi 05 Octobre 2022

Seul le bruit du vent se fait entendre sur la terrasse de Rostand, qui héberge actuellement la plus grosse colonie de Pétrels Géants de l’archipel. Les couples se sont appairés et s’affairent désormais à préparer un grand nid de gravier. Un individu esseulé va et vient au milieu des nids, les ailes à demi déployées pour se stabiliser autant que faire se peut. Le vent forcit légèrement et se met à remonter le Plan-Saint-Paul. Le géant n’attendait que cette petite bourrasque de face pour prendre les airs.

En moins de 30 secondes, le voilà déjà au-dessus du Nunatak puis de la colonie d’Empereurs. Les manchots qui partent à la mer sont faciles à identifier depuis notre point de vue : ils nous présentent leur ventre blanc alors que ceux qui reviennent nous montrent leur dos noir. Tout ce petit monde se croise dans la baie des Empereurs. Probablement insatisfait de son inspection, le pétrel géant revient planant survoler la terrasse. Au nord, de petits cumulus joufflus coiffent le bord de la polynie.

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