Voie lactée & poussins Empereurs

Mardi 16 août 2022

Perché sur un petit replat abrité du vent, non loin du sommet du Mont d’Or, je profite de l’absence de nuages pour admirer la pureté de la nuit antarctique. Malgré le froid, il faut désormais saisir toutes les opportunités d’observer ce magnifique ciel nocturne. En effet dans quelques semaines, la nuit commencera à pâlir avant de laisser place au jour permanent.

Le ciel a revêtu une teinte bleu sombre à peine diluée par les lumières de la base, une centaine de mètres plus loin. Ce soir encore, une aurore australe déploie sa longue guirlande au-dessus des icebergs de l’Est. Au Sud-Ouest, la voie lactée s’élance depuis le Nunatak jusqu’au centre de la voûte céleste. La finesse de ses dentelles se révèle peu à peu, après quelques minutes passées dans la semi-obscurité.
Les deux nuages de Magellan sont plus discrets, un peu plus haut dans le ciel. Le vent qui monte depuis la banquise amène avec lui les grincements des pattes de manchots sur la glace. Une grande trainée de lumière blanche apparaît subrepticement, loin au-dessus du continent. Une étoile filante…

Dimanche 21 août 2022

Ayant opté pour le mont Caroline ce soir, je suis sorti une petite demi-heure pour prendre quelques clichés de la voie lactée, afin d’essayer une technique « d’empilement des images ». Celle-ci est censée permettre de produire des images détaillées en réduisant le bruit numérique. En visant un peu au-dessus de la croix du Sud, je repère une zone de contraste plus marquée au sein de la voie lactée. Manu m’apprendra le lendemain qu’il s’agit de la nébuleuse obscure du « Sac à Charbon« , surnommée également « Nuage sombre de Magellan ». Bien que souffrant de nombreux défauts dont quelques fortes aberrations chromatiques, le résultat s’avère assez satisfaisant pour un premier essai.

Nébuleuse sombre du « Sac à Charbon », un peu au-dessus de la croix du Sud.
Lundi 22 août 2022

Les poussins Empereurs grandissent à toute allure. Ils sont déjà nombreux à être trop grands pour rester totalement à l’abri de la poche de leurs parents. Désormais constamment exposés à la vue des autres manchots, ils attisent les convoitises des individus en échec pour ce cycle de reproduction. Malgré la perte de leur oeuf ou l’absence de partenaire cette année, ces « inemployés » restent bourrés d’hormones qui les poussent à voler la progéniture de leur prochain. Ce sont parfois jusqu’à une dizaine d’individus qui prennent part à ces tentatives de rapts, formant de véritables mêlées de rugby. Les poussins font parfois les frais de ces affrontements, piétinés par les adultes.

Heureusement, leur épais duvet gris devrait bientôt leur permettre de gambader librement dans la colonie, sans avoir besoin de la protection constante de leurs parents. Cependant, ils ne seront pas encore sortis d’affaire avec l’arrivée de nouveaux prédateurs dans l’archipel…

Mercredi 24 août 2022

Le pétrel géant passe en rase-motte au-dessus de la colonie, avant de décrire un grand virage à l’extrémité du Nunatak. Il plane dans les rafales glacées du catabatique, l’œil aux aguets cherchant un poussin égaré. Un de ses congénères est déjà en train de dévorer un malheureux, qu’il a soustrait à la vigilance des adultes et trainé à l’écart.
Perdant patience après quelques allers-retours, le PGA encore en chasse décide finalement de voler le repas de son rival. En arrivant vent dans le dos à toute allure, il le force à abandonner sa proie.

Après quelques mètres de course pesante, l’oiseau dépossédé reprend les airs à la recherche d’une nouvelle victime. Il exhibe son bec ensanglanté en passant à notre hauteur, l’œil farouche. Identifié grâce à sa bague, cet individu semble être l’un des pétrels les plus aguerris de l’archipel cet hiver. Fort de ses 17 ans d’expérience, il fait presque une victime chaque jour selon les observations de notre ornithologue. De mon côté, j’avoue avoir le cœur trop tendre pour apprécier pleinement la grâce farouche de ces grands oiseaux des mers… Je ne peux m’empêcher de leur reprocher leur statut de tueur de peluches !

Pour compenser, voilà quelques photos des ambiances du mois d’Août en Terre Adélie. Celles-ci étaient restées dans les tiroirs pendant le montage du film antarctique…

One Response

  • Pour la photo, je n’y connais rien…. Pour les petites peluches, comme dit « Manu », âmes sensibles s’abstenir….
    vos photos et textes sont magnifiques comme toujours.
    Merci de toutes ces nouvelles du bout du monde !!!

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