-50°C ressentis, frissons garantis

Dimanche 26 Juin 2022

La nature nous a offert un véritable feu d’artifice en clôture de la semaine de Mid-Winter ce soir. Aux alentours de 20h, les cieux Adéliens se sont embrasés sous les feux émeraudes de la plus intense aurore australe observée cette année. L’absence de vent a rendu les -22°C ambiants relativement supportables. Des torrents de lumière verte ont envahi le ciel au zénith de la station, ondulant plus rapidement que jamais. Pendant une demi-heure, des flots de lumière fluide venus du large se sont ainsi déversés vers l’Antarctique le long de ces grands sentiers célestes… Un spectacle féérique qui s’est évanoui aussi vite qu’il est apparu.
Sans appareil photo à portée de gants, je me suis contenté d’admirer les mouvements gracieux de ces draperies vertes et pourpres. Les aurores étaient encore là quand je suis ressorti un peu plus tard, mieux équipé cette fois. Bien que moins intenses, elles n’en restaient pas moins photogéniques, notamment un éphémère vortex qui s’est formé au-dessus de la banquise.

Vortex de lumière au-dessus de la mer Dumont D’Urville
Lundi 27 Juin 2022

J’accompagne Jimmy au Nunatak, pour aller rendre visite à nos patients voisins. Nous arrivons à la colonie à l’aube, à l’heure du réveil… La tortue commence en effet à se disloquer avec l’augmentation de la luminosité. J’arrive à saisir l’instant où le premier manchot se retourne, donnant un joli contraste à cette image. Quelques minutes plus tard, les oiseaux en périphérie du groupe commencent leur toilette, bien vite imités par la majorité de leurs congénères. Il est en effet très important pour les Empereurs de garder leur plumage dans un état de propreté impeccable, afin de préserver ses propriétés thermiques. Il en va de la survie de ces mâles, déjà affaiblis par le jeûne qui s’éternise. La relève des femelles est prévue la semaine prochaine, ce retour coïncidant avec l’éclosion des œufs tant attendue par notre ornithologue.

En passant derrière les rochers du Nunatak, nous sommes agréablement surpris par le lever du soleil. Le mauvais temps nous avait privé de cette vision depuis plus d’une semaine… Et même si la chaleur que cette douce lumière orangée nous procure tient plus du fantasme que d’une réelle sensation, notre visage absorbe ces maigres photons avec bonheur. Sur la baie des Empereurs, l’épaisse couche de poudreuse est striée par les sillons que les manchots ont soigneusement dessinés.

Enfin un lever de soleil sans nuages
Jeudi 30 Juin 2022

Ça y est, peu après le lâcher de ballon quotidien, l’estimation de température ressentie disponible sur l’intranet de la base passe au rouge : -50°C ! La nuit précédente, nous avions déjà franchi le seuil symbolique des -30°C en termes de température réelle, un paramètre plus digne de confiance pour les météorologues que nous sommes. Le record de froid de l’hiver est désormais établi à -31.1°C, la climatologie de la station nous indique que nous avons jusqu’à début Octobre pour espérer faire mieux. Par ailleurs, Juillet et Août restent en moyenne les mois les plus froids de l’année ici. Les paris sont ouverts…

A ces températures, le moindre bout de peau exposé plus d’un quart d’heure perd peu à peu sa coloration, à mesure que le sang se retire. Quand le vent se met à souffler plus sensiblement, les gelures peuvent alors apparaître encore plus rapidement. Le nez des porteurs de lunettes s’avère particulièrement exposé, puisque couvrir le précieux appendice signifie rediriger l’humidité de nos expirations vers le haut… givrant ainsi instantanément nos carreaux ! Chacun a son astuce pour retarder cette inévitable perte de visibilité mais dans ces conditions extrêmes, aucune n’apparait réellement satisfaisante pour le moment.
La confection des nœuds qui ferment le ballon météo nécessite aussi de retirer ses gants pour quelques minutes, et ce n’est pas forcément une partie de plaisir. Il ne s’agit pas non plus d’oublier de les renfiler avant de toucher l’embout de gonflage métallique, sous peine de subir une brûlure aussi surprenante que douloureuse…

Cette dégringolade du mercure marque donc notre entrée au cœur de l’hiver Antarctique.

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