Mercredi 11/05/22
Depuis hier matin, les rafales de la tempête Lucie secouent les bâtiments de la station Dumont D’Urville. La neige tombe à l’horizontale, le blizzard réduisant la visibilité à une cinquantaine de mètres. Une forte houle était également prévue au large… Dans la lumière grise de l’aube, nos craintes se confirment. La mer est de nouveau libre au Nord de Pétrels. La banquise a résisté entre les îles de l’archipel et sur l’itinéraire menant au cap Prudhomme, mais il n’y en a plus de trace ailleurs. Comme attendu, les fractures se sont produites le long des rivières localisées par les sondages des semaines précédentes. Malgré la débâcle, nous avons au moins un motif de satisfaction : nos prévisions ont permis de mettre en sûreté le matériel de suivi ornithologique la veille de la tempête. Cela faisait seulement deux jours que les antennes relevant les allers et venues des femelles Empereurs étaient en place…
Jeudi 12/05/22
Le vent a enfin molli dans la nuit, après plus de 48h de tempête. Ce matin, les premières reconnaissances sur la banquise survivante ont permis de rassurer les troupes : le Pré et les abords de Lamarck et Rostand ont bien résisté et restent praticables. Les opérations scientifiques sur la colonie d’Empereurs resteront ainsi ininterrompues. Cependant, il faudra attendre au moins deux semaines avant de pouvoir de nouveau faire le tour de Pétrels et se balader entre les petites îles de l’archipel du Zodiaque.
Samedi 14/05/22
Une fois la banquette franchie, Nicolas et moi nous élançons sur la banquise à petites foulées. Les conditions météos sont plutôt clémentes aujourd’hui, la température avoisine les -12°C et le vent a eu le bon goût de rester discret. L’air n’en reste pas moins glacial. Il me coupe un peu le souffle sur les premiers hectomètres. Nous commençons par contourner l’île Rostand en prenant soin de rester à distance des manchots Empereur, sans leur couper la route.
Devant le Nunatak, la neige croûtée qui cédait aléatoirement sous nos appuis laisse place à une surface plus compacte, qui permet de reprendre notre souffle et de ménager nos chevilles. Plus loin, une dune de neige poudreuse nous barre la route et nous contraint à un exercice de montée de genoux. Même sur le plat, l’alternance des différentes qualités de neige donne un petit aspect cardio à la sortie… D’autant que mon compère est plutôt en bonne (pour ne pas dire meilleure) forme ! Une petite accélération de vent de face nous cueille derrière l’îlot des Hydrographes et manque de faire givrer la condensation sur mes lunettes. Ces menus désagréments ne gâchent en rien le bonheur de pouvoir courir au grand air, au bout du monde…
Dimanche 15/05/22
L’aube et le crépuscule continuent leur course-poursuite, seulement séparés d’un peu plus de 5 heures actuellement. Le ciel clair de ces derniers jours nous permet d’admirer tous les soirs de magnifiques dégradés de couleurs, d’une pureté que je ne me souviens pas avoir vu ailleurs. Côté Nord, les nuances chaudes du soleil couchant se reflètent sur la fine couche de glace, qui a déjà saisi la mer libre. Côté Sud, les cieux roses se fondent doucement dans les teintes bleutées de la calotte polaire antarctique. Les soirs où il n’y a pas de vent, on entend encore la banquise grincer contre les rives de Pétrels depuis le balcon du hangar ballon.
Lundi 16/05/22
La Lune veille constamment sur nous ces derniers temps, en suivant une trajectoire circumpolaire. Elle ne disparait qu’une poignée d’heures derrière le continent, à l’Ouest. Dans les minutes qui précèdent sa disparition, elle blondit et devient particulièrement photogénique. Quand le coucher de lune se produit au crépuscule, le contraste de luminosité s’adoucit et permet de lui tirer le portrait facilement, sans trop se casser la tête au post-traitement.
Ce soir, alors que la Lune réapparait au-dessus des glaces après avoir profité de l’entracte pour poudrer son joli minois, il semblerait qu’elle se soit maquillée à la va-vite. En effet, une ombre inhabituelle entame la rondeur de son visage, pourtant sans défaut deux heures plus tôt. C’est à Emmanuel, son admirateur le plus assidu, que revient le mérite d’avoir remarqué cette facétie. Mais bien vite, il tient à dédouaner la belle… C’est la Terre qui projette son ombre sur sa petite sœur, éclipsant ainsi partiellement son éclat. Une dizaine de minutes plus tard, le conflit de voisinage semble réglé, notre satellite ayant retrouvé son intégrité.
Quelles belles images, et vos textes toujours très agréables à lire,
merci pour ces nouvelles.
Cordialement.