Jeudi 7 Avril
La passerelle entre GéoPhy et le séjour est suspendue au sein d’un brouillard mouvant, sans liens visibles avec la terre ferme. La rambarde disparaît quelques mètres plus loin dans le blizzard blanc et opaque. Le temps d’une rafale moins chargée de neige, des silhouettes diaphanes rappellent quelques instants la présence des bâtiments alentours. Mais celles-ci s’effacent bien vite dans les volutes de poudreuse, qui continuent de filer à toute vitesse vers la mer.
La tempête Samuel s’est abattue dans la nuit sur la base Dumont D’Urville. Les fortes rafales qu’elle génère dépassent 150km/h et menacent maintenant l’intégrité de notre jeune banquise. Dans la manchotière, les autres hivernants (ceux à redingote) se sont probablement déjà regroupés en une tortue compacte, afin de faire le dos rond en attendant l’accalmie.
Vendredi 8 Avril
Jimmy est descendu au hangar bleu à la première heure pour constater les dégâts. La réussite de l’opération de baguage des poussins Pétrels Géants dépend en effet exclusivement de la qualité de la banquise qui relie l’île Rostand à Pétrels. Si elle ne permet pas la traversée avant le 15 Avril, les juvéniles de l’année s’envoleront sans bague, rendant impossible le suivi de leurs premières années.
Heureusement pour notre ornitho, toute la banquise de la baie du Pré a tenu et semble même s’être renforcée. La neige soufflée par le vent y forme désormais une couche relativement lisse et homogène. Les zones situées derrière les îles Rostand et Mauguen ont également résisté (voir comparaison des images satellites ci-dessus). Mais partout ailleurs, la tempête a brisé la carapace glacée de l’océan et tout est à refaire.
Images satellites Sentinel-2 via Sentinel Hub, illustrant la situation avant et après le passage de la tempête Samuel
Samedi 9 Avril
Après le repas, nous sommes un petit groupe à gagner la Pointe Noire pour sonder la banquise. Sous l’effet des premières vagues d’un train de houle arrivant depuis le Nord-Ouest, la surface de glace oscille doucement. Le sondage commence à deux mètres de la berge, avec la corde de kayakiste prête à l’emploi et en suivant toutes les précautions d’usage. La jauge indique plus de cinquante centimètres, ce qui constitue un large progrès par rapport au début de la semaine. Un quart d’heure plus tard, une épaisseur minimale de quarante centimètres est relevée sur la traversée du bras de mer. Ainsi, la solidité de la banquise est satisfaisante et devrait permettre l’opération de baguage demain.
Depuis la banquise, ce sont maintenant les rochers de la Pointe Noire qui se soulèvent et redescendent régulièrement… L’île des Pétrels ne serait-elle pas devenue flottante elle aussi ? Un groupe d’Empereurs passe à une trentaine de mètres, détournant mon attention de cette épineuse question. Un duo se fige, exhibant leurs encolures orangées en une parade muette et immobile. Cette scène de vie sauvage est belle, simplement éclairée par la lumière jaune du début d’après-midi. Il est quatorze heures et le soleil est déjà rasant.
Le bruit du ressac enfle depuis une bonne heure dans le chenal du Lion. L’horloge du bureau météo indique 7h temps universel, soit 17h locales. Devant la fenêtre, Bertrand surveille aux jumelles les déferlements de vagues qui commencent à se produire entre les îles du Zodiaque. La houle de Nord-Ouest se renforce rapidement. La glace du chenal Buffon cède, bien vite suivie par celle du Pré qui se fracture en une mosaïque de plaques disparates. C’est la soupe à la grimace du côté de Biomar…
Les archives de la station météo sont pleines d’épisodes de décevantes débâcles. Ce méchant manège de la banquise Antarctique est habituel en début d’hiver. Il faut souvent s’y reprendre à plusieurs fois avant d’obtenir une structure solide et pérenne. Alors qu’une liberté nouvelle nous tendait les bras, la tempête Samuel nous l’a subtilisé… Décidément en Antarctique, pas de pronostic !
Merci Adrien pour vos nouvelles. Sympa !