Vendredi 18 Mars 2022
Ce matin vers 5h locales, la température a atteint +4.8°C dans l’abri de mesures de la station météo de Dumont D’Urville. Cette valeur constitue un nouveau record de chaleur pour le mois de Mars en Terre Adélie. Le mercure n’est ensuite pas repassé sous les 0°C avant 19h locales… Ainsi, ce 18 mars 2022 est devenu la journée avec une température minimale positive la plus tardive jamais observée ici (+0.2°C). Partout ailleurs en Antarctique de l’Est, les records de températures ont également été largement dépassés. En altitude, l’écart avec la normale est encore plus marquant : jusqu’à +30/35°C ! A Concordia, le record absolu de température a été dépassé : il n’avait jamais fait aussi chaud, tous mois confondus.
L’Antarctique semblait pour le moment relativement préservée des effets du changement climatique, surtout comparée à sa jumelle Arctique. Après le record d’extension minimale de la banquise australe établi il y a seulement quelques semaines, nous assistons probablement là, en direct, au premier évènement météo Antarctique majeur directement imputable au dérèglement global. Un long travail de statistiques va s’engager pour établir avec rigueur le rôle du réchauffement climatique dans cet épisode… Mais la séquence apparaît tellement hors-normes, que l’issue de ces calculs ne fait que peu de doute.
Je suis sorti profiter de ces conditions météos exceptionnellement clémentes, sans avoir encore réellement saisi l’ampleur de l’anomalie. Malgré la douceur inhabituelle, des plaques de glace de diverses épaisseurs se pressent encore le long des berges de la baie du Pré. Le bruit régulier du ressac en est sérieusement assourdi. Un coup de trompette retentit soudain dans l’atmosphère calme de cette fin d’après-midi. Je lève les yeux vers l’un des bergs qui a dérivé devant l’île Lamarck, en direction d’une forme allongée sur la glace. La silhouette est trop grande pour être celle d’un Adélie mais pas assez pour un phoque. Le chant d’appel du manchot empereur retentit une seconde fois. Et cette fois, pas de doute, l’Empereur a laissé entrevoir les couleurs orangées qui ornent l’arrière de sa tête. C’est le premier individu que j’observe d’aussi près, à une centaine de mètres environ.
La veille, Jimmy nous avait exposé la phénologie de ces oiseaux endémiques et emblématiques de l’Antarctique. Dans les semaines à venir, ils devraient arriver par centaines en longues colonnes pour s’assembler au pied du Nunatak. En entamant leur cycle de reproduction aussi tôt, ils assurent un timing idéal pour le départ de leur future progéniture au moment de la débâcle, fin Novembre, quand les ressources de pêche sont les plus abondantes. Espérons que ce coup de chaud exceptionnel et tardif ne retarde pas trop l’embâcle de la baie… Rater les fameuses files indiennes d’Empereurs serait une véritable déception…
Samedi 19 Mars 2022
Après la pluie de l’avant-veille, la neige a repris ses droits et tombe à gros flocons depuis l’aube. Fait assez rare pour être souligné, elle tombe sans être soufflée par le vent. Les drapeaux des TAAF, de la France et de l’Ukraine retombent mollement sur leur hampe, côte-à-côte. Sous la couche d’ouate, le paysage est adouci… Mais le parcours du chemin de cordes qui relie le « Dort’Été » au laboratoire de Glacio est d’autant plus piégeux ! La pluie qui est tombée la veille s’est muée en une couche de glace plutôt traitresse, surtout dissimulée sous une dizaine de centimètre de neige fraîche.
L’archipel traverse actuellement un petit creux d’activité, entre le départ des derniers oiseaux estivants et l’arrivée de nos compagnons pour l’hiver, les grands manchots Empereurs. Une seule nuit calme et dégagée suffit à produire de grandes zones de glace fine, mais celles-ci disparaissent pour le moment au moindre coup de vent.
Merci pour toutes ces informations toujours bien documentées.