Sous les lumières du pôle

Mardi 8 Mars 2022

Dans la nuit sans lune, la surface noire de l’océan est peuplée de grandes silhouettes grises aux formes chaotiques. Au-dessus de l’horizon, une discrète brume lumineuse ondule lentement contre le ciel piqueté d’étoiles. De temps en temps, l’aurore australe se fait plus nette, laissant même deviner une légère teinte verte. Une petite dizaine d’hivernants profite de cette féérie silencieuse depuis la plate-forme Lucie. Même si elle reste un peu pâlotte, c’est une première pour bon nombre d’entre nous…

La voie lactée apparaît réellement dans toute sa splendeur une fois les guirlandes des passerelles éteintes. Difficile de ne pas s’émerveiller devant ce tableau, que la pollution lumineuse rend bien plus rare et plus fade près de nos villes. A travers l’atmosphère sèche et glacée de l’Antarctique, les regards se portent sans filtre vers le cœur de notre galaxie.

Réglé sur un long temps de pose, l’appareil photo produit des images fantasmagoriques… Et il faut bien l’avouer, plus impressionnantes que le spectacle visible à l’œil nu. Les premières plaques de frasil (première étape de la formation de la banquise) derrière la piste du Lion reflètent même quelques nuances de vert.

Samedi 12 Mars 2022

Pas de passes-droits, l’hiver s’est décidé à imposer sa loi. Au fur et à mesure qu’il avance, tout ralentit puis se fige et devient définitivement immobile. Dans une poignée de semaines, même l’océan aura rendu les armes.

D’abord huileuse, la surface de la mer Dumont D’Urville a commencé à prendre une allure vitreuse depuis quelques jours. Quand le vent ne souffle pas trop fort, il suffit de quelques heures pour que de grandes zones se figent. Les vaguelettes qui strient habituellement l’océan restent alors cantonnées à quelques zones d’eau libre, brassées par les remous du ressac et les courants. Les premières plaques de glace translucide sont finalement apparues dans la nuit. Ces « pancakes » de taille modeste s’alignent le long de mystérieuses avenues, révélant ainsi la circulation complexe qui serpente entre les îles du zodiaque.

Dimanche 13 Mars 2022

« – Marcus Smith qui oriente le jeu sur le petit côté…« 
Le commentateur du match de rugby Angleterre-Irlande est interrompu par une bruyante cavalcade dans le séjour. Se joignant aux autres hivernants, les amateurs de ballon ovale sortent de la BD-thèque pour gagner le perron. Dehors, les aurores sont revenues ! Mais cette fois-ci, elles déploient leurs grandes draperies émeraudes juste à l’aplomb de la station, et avec une intensité bien plus impressionnante qu’il y a deux jours. Soudain, un pilier lumineux se matérialise au dessus de la station puis se met à danser quelques secondes avant de s’estomper. La petite foule massée sur le toit du bâtiment GéoPhy ne peut retenir quelques exclamations émerveillées.

Une éruption solaire conséquente s’est produite il y a quelques jours et le flux de particules ionisées qu’elle a généré a finalement atteint la Terre. Contournant le bouclier magnétique de notre planète, une partie du vent solaire s’engouffre maintenant dans les faiblesses de la magnétosphère situées au-dessus des deux pôles magnétiques. Une fois assez proches, les particules chargées interagissent avec les atomes de la partie haute de l’atmosphère terrestre, l’ionosphère. Ainsi excités, les atomes d’oxygène et d’azote produisent ces lumières surréalistes. Quand une éruption solaire particulièrement puissante se produit, des aurores peuvent apparaître jusqu’aux moyennes latitudes. Ainsi, en orient comme en occident, les anciens y ont vu le passage de dragons célestes.

Profitant de la luminosité exceptionnelle de l’épisode et de l’expérience de la précédente session, je règle mon appareil un peu plus finement. Les clichés sont à la fois plus réussis et plus proches du spectacle observé à l’œil nu.

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