Samedi 10 Septembre
Il est 10h du matin. Le ciel de Terre Adélie est d’un bleu profond. Pas le moindre nuage à l’horizon, pas un souffle de vent… Le thermomètre affiche -18°C dans l’abri météo de l’île des Pétrels. Sur la banquise, le soleil dispense une chaleur discrète mais bienvenue.
Après avoir rallié l’île Pasteur, notre petite troupe se trouve désormais à l’embouchure d’un large couloir entre deux icebergs. Ce passage avait été repéré sur les images satellites depuis quelques semaines. Avec l’augmentation de la luminosité ambiante, la précision des images augmente de jour en jour. La veille, Manu et J-P avaient effectué une première reconnaissance dans la zone des îles Dumoulin. De loin, ce passage leur a semblé praticable. Derrière cette grande allée, nous espérons pouvoir pénétrer au cœur d’un grand cercle de Bergs, que nous avons baptisé « Le Cirque ». C’est le dernier endroit de l’archipel que nous n’avons pas encore exploré. Il y a fort à parier que dès la débâcle, les colosses de glace vont rapidement se disperser, chamboulant cette belle disposition. L’éphémérité du lieu lui confère un charme supplémentaire.
Un forage au seuil de la porte nous rassure sur l’épaisseur de la banquise : 1m40, une épaisseur cohérente avec les observations relevées la veille un peu plus au Nord. En file indienne, notre groupe s’engage dans le grand couloir, tout en veillant à rester à distance respectueuse des hautes murailles de glace. A l’ombre des bergs, le fond de l’air semble nettement plus frais… Après environ 500 mètres, le passage est fermé par un grand éboulis de glaçons, mais une contre-allée sur notre gauche permet de repiquer vers le Nord. En la remontant, j’ai l’impression de flâner dans la galerie d’un grand muséum. De part et d’autres, des sculptures de glace millénaire nous dominent. Au pied de ces remparts, des ouvertures d’un bleu plus sombre laissent deviner la présence de mystérieuses cavernes…
Après une heure de balade, nous finissons par ressortir du côté Ouest des Bergs, sans avoir pu entrer dans le Cirque. En faisant le point avec l’image satellite, nous nous apercevons que nous n’avons fait que longer l’enceinte de la forteresse. Heureusement, nous avons encore largement le temps d’aller sonder l’ouverture suivante, un peu plus au Nord…
Le défilé apparaît plus resserré que le précédent, mais il n’y a qu’une cinquantaine de mètres à parcourir sur une banquise dure et égale. Nous franchissons la brèche par groupe de deux, sans traîner dans le goulet d’étranglement, l’oreille aux aguets. Le son mat de nos pas sur la glace se répercute et résonne en remontant contre les remparts, avant de s’échapper vers le ciel. Pendant cette courte traversée, le temps semble suspendu.
Une fois passés, plus de doutes, nous avons pénétré dans l’enceinte des grands Bergs. Tout autour de nous, l’horizon est barré par des remparts de glace verticaux. Quelques hummocks judicieusement disposés au centre du cirque tiennent lieu de mobilier pour notre pause tisane. La station s’avère même de nouveau joignable par radio, ce qui nous permet d’informer Camille de notre progression. Après avoir profité de cet extraordinaire panorama encore quelques minutes, nous mettons le cap au Nord-Ouest pour ressortir via une dernière ouverture, la plus évidente sur l’imagerie satellite. Bertrand décide de nommer ce grand boulevard « Les Champs Elysées« . C’est décidé, pour les quelques mois qui nous restent à vivre ici, la plus belle avenue du monde déménage dans l’hémisphère Sud.
La présence de quelques phoques anime le retour, qui s’effectue à un rythme tranquille. La clémence de la météo invite à la contemplation. Nous bouclons cette somptueuse balade d’une vingtaine de kilomètres aux environs de 16h. Que l’Antarctique est belle.
Dimanche 11 septembre 2022
Une couche de stratocumulus avance silencieusement depuis le début de l’après-midi. Son ombre a englouti les bergs au large, et s’apprête désormais à dévorer les îles de l’archipel. Un à un, les rochers passent sous la lumière gris-bleu, tamisée par les nuages. Scintillant seulement deux minutes plus tôt, le Tiramisu s’éteint brusquement. Sur le bord d’attaque de la grande couche grise, des légers volutes se détachent et s’enroulent sur eux-même.
En fin d’après-midi, le soleil prend sa revanche et passe quelques instants entre la banquise et les nuées. Le coucher de soleil enflamme les icebergs et les îles de l’archipel de sa lumière dorée. Autour du Val joli, une petite dizaine de Pétrels des neiges virevoltent le long des rochers. Leurs vocalises rocailleuses résonnent dans la baie des Épaves, interrompant la rumeur constante du vent du Sud. Près d’Antavia, les meilleurs emplacements sont déjà déneigés et défendus à coups de becs : les places sont chères sur Pétrels. Les affrontements se poursuivent parfois jusque dans les airs, jusqu’à faire passer les acrobaties hollywoodiennes de Top Gun : Maverick pour de vulgaires cabrioles. Les combattants s’entravent l’un l’autre en plongeant vers le sol, c’est à celui qui rouvrira les ailes le dernier pour éviter l’impact.
Un pétrel ne fait certes pas le printemps, mais l’ambiance a déjà imperceptiblement changé sur l’archipel. Le retour progressif de la vie va de pair avec l’élévation toujours plus importante du soleil. Je prends désormais mon quart météo au lever du jour. C’est bien plus pratique pour passer la première obs’ du matin ! À chaque coup de vent, la polynie grignote un peu de banquise. Si quelques jours calmes se succèdent, la glace de mer tente bien de croître de nouveau… Mais elle est trop fragile et est balayée par le premier coup de tabac catabatique.
Superbe trail !
Et un cirque!!