Dimanche 03 Juillet 2022
Notre petite équipe prend pied sur le continent au niveau du cap Prudhomme, après environ une heure de marche sur la banquise. La neige tombée la semaine dernière a eu le temps de durcir, facilitant ainsi notre progression. Le vent a tout de même formé de profonds sillons par endroits. Désormais figés, la traversée de ces zones de sastrugi n’est pas des plus pratiques, surtout pour J-P qui tire la pulka.
La manip du jour consiste à mesurer la hauteur de piquets installés depuis plusieurs années dans la pente de glace qui surplombe la base annexe Robert Guillard. Implantés selon une forme de grand H d’environ 500m de large, ils permettent d’évaluer l’évolution de l’épaisseur de glace in situ. Une précision au centimètre est requise pour la mesure. Mais il s’avère que le maniement du mètre enrouleur n’est pas si évident dans la quinzaine de nœuds de vent catabatique et par -25°C ! Des chaufferettes placées au fond des gants permettent toutefois de travailler sans (trop) se geler les mains.
Une rasade de thé chaud, prise sur la terrasse déserte du garage de Prudhomme, permet de se revigorer avant le voyage retour vers Pétrels. Notre fief se détache bravement contre l’horizon bleu pâle, posé sur le grand canevas blanc. Toutes les notions de distances et les perspectives sont gommées par l’absence de repères, les icebergs semblent tantôt gigantesques, tantôt miniatures en fonction de l’heure et de leur humeur. Il faut attendre d’être à moins d’un kilomètre de l’île pour la voir enfin grandir.
Mardi 05 Juillet 2022
Dans la lumière encore hésitante de l’aube polaire, une grande muraille blanche se dresse au Sud. Nous n’avions encore jamais vu un mur de neige catabatique aussi haut et bien formé. Il masque toute l’Antarctique à nos yeux, de la pointe Ebba à l’Ouest jusqu’au glacier de l’Astrolabe à l’Est. Avec ses allures de tempête de sable, le grand haboob blanc toise la station de toute sa hauteur. Comme un chat avec une souris, il semble encore hésiter à fondre sur Pétrels.
Un peu plus tard, aux alentours de 10h locales, un nuage étrangement brillant transparait derrière les cirrus rosis par le lever du soleil. Avec sa couleur nacrée caractéristique, pas de doute possible, il s’agit d’un nuage stratosphérique polaire (PSC). Son altitude est si élevée que la lumière du jour l’atteint bien avant les nuages « normaux », qui restent confinés à la première couche de l’atmosphère appelée la troposphère. Étienne, notre lidariste, les avait détectés sur ses mesures depuis 48 heures environ, mais c’est le premier que l’on observe à l’œil nu cette année. Je m’empresse de noter l’occurrence de ce phénomène relativement rare dans le carnet d’observation de la station.
Pendant l’hiver, un grand vortex atmosphérique se met en place autour du pôle Sud entre 15 et 25km d’altitude. En isolant l’air stratosphérique du reste de la circulation planétaire, il permet aux températures de descendre rapidement en dessous des -78°C nécessaires à la formation des PSC, dans cette couche d’atmosphère pourtant très sèche. Cette année, nos mesures quotidiennes par ballon ont montré que ce seuil était dépassé depuis la mi-Juin. Les chercheurs s’intéressent actuellement au rôle des nuages nacrés dans la destruction de l’ozone, qui se déclenche au printemps quand les rayons du soleil reviennent. En effet, les PSC catalysent les réactions chimiques menant à la formation du tristement célèbre trou dans la couche d’ozone. En particulier, les scientifiques cherchent actuellement à élaborer une classification et une climatologie plus détaillée de ces nuages. A terme, ces études mèneront à l’amélioration des modèles de climat utilisés pour prévoir l’évolution et les impacts du changement climatique.
Vendredi 08 Juillet 2022
Nous avions vu le « côté face » du mur avant hier, nous voilà maintenant du « côté pile ». En moins d’une minute, à peine le temps de faire l’aller-retour entre le bâtiment technique et le séjour, la visibilité est passée de quelques kilomètres à moins de 100 mètres. L’accélération brutale du vent a soulevé toute la fine neige poudreuse, celle qui s’infiltre si facilement entre les bonnets et les tours de cous mal ajustés. Je rentre dans le BT avec l’oreille gauche remplie de poudreuse, une sensation fort peu agréable. A travers les vitres de la station, côté Nord, le blizzard laisse voir la face arrière du mur de neige, illuminé par le soleil rasant. Les volutes de flocons brassés par la furie finissent par masquer le phénomène quelques minutes plus tard.
Le bulletin météo du soir annonce un week-end neigeux. Les congères devraient de nouveau prendre de l’embonpoint tout en engloutissant les passerelles… Une bonne séance de pelletage en perspective…