Lundi 21 Novembre 2022
Fruit de la collaboration des nombreux talents de la TA, notre tableau de mission a finalement été terminé en temps et en heure avant les premiers départs. En effet, chaque équipe d’hivernants laisse traditionnellement une trace de son passage en Terre Adélie à travers la réalisation d’un petit chef d’œuvre (dans le jargon des compagnons, souvent « infiltrés » ici). Dans la montée d’escaliers du dortoir, les réalisations de ceux qui nous ont précédé s’alignent le long des murs. Il m’est souvent arrivé de m’arrêter quelques instants devant une de ces photos de groupe durant l’hiver, pour tenter d’y reconnaître les personnels météos ou bien essayer d’y déceler un mécanisme caché. La diversité des formats présentés témoigne de la créativité et du talent des Adéliens qui se succèdent en ces lieux, année après année. Derrière tout ces visages souriants et à l’aune de l’année écoulée, je mesure à présent la richesse de l’expérience collective et individuelle d’un hivernage en Terre Adélie. Parmi eux désormais, notre tableau trône en bonne place, pour les années à venir.
Une carte du ciel de la nuit australe occupe le centre du tableau, au milieu les portraits des hivernants tirés en argentique par les soins d’Emmanuel. Nous avons fait le choix insolite d’intervertir les noms des hivernants avec celui de certaines étoiles. Cet échange permet quelques clins d’œil : Zoé notre boulangère prend place dans la constellation de l’épi, Jimmy l’ornithologue est relié à celle de la grue, Loïc le mécano est associé à la « Machine Pneumatique« , etc… Iban, notre petit génie de l’électronique (entre autres), a concocté un mécanisme de boutons tactiles permettant d’allumer les LEDs de chaque étoile, établissant ainsi la correspondance. Mais c’est bien à Lucie, notre menuisière, qu’est revenue la majeure partie du travail. Le rendu est impeccable, et l’aspect interactif du tableau en fera sans doute l’un des préférés de nos successeurs (en toute objectivité bien entendu).
Mardi 22 Novembre 2022
La bruine est tombée toute la journée sur Dumont D’Urville, verglaçante par moments. Elle s’est à peine interrompue pour laisser place à un petit intermède neigeux. Les archives de la station indiquent que des précipitations liquides se sont déjà produites auparavant fin Novembre, en 2017 et en 2013 notamment. Il s’agit donc d’un phénomène plutôt rare à cette époque de l’année, mais pas exceptionnel non plus. Ajoutées à la neige fréquente de ces deux dernières semaines, ces conditions météos ne font guère les affaires des manchots Adélie. Malgré leurs efforts de terrassement incessants, une bonne partie d’entre-eux ont vu leur nid se transformer peu à peu en pataugeoire. Le succès reproducteur des oiseaux de l’archipel risque de s’en ressentir…
Des coquilles brisées jonchent déjà la neige autour des colonies. Les skuas ont commencé à chiper les œufs, parfois même littéralement abandonnés par des manchots trop découragés par ces conditions difficiles. Le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres…
Le crachin finit enfin par s’interrompre en soirée. La couche nuageuse reste dense, et diffuse une lumière gris-bleu peu habituelle. Les paysages de Terre Adélie s’en trouvent métamorphosés en douces aquarelles. Sous cette atmosphère immobile, la mer reste étale. Les grands icebergs contemplent leur reflet sur cette grande surface argentée.
Miroir, mon gentil miroir, qui est le plus beau Glaçon des mers du Sud ?
Les Océanites de Wilson voltigent de toutes parts dans la lumière du crépuscule. Leur vol saccadé, fait de virages brusques et rapprochés, évoque celui d’une hirondelle. Chaque soir, le centre de la base haute se transforme ainsi en anneau de vitesse pour ces petits pétrels noirs et blancs. De temps à autre, les voilà qui se posent sur certains rochers stratégiques, pour y défier à grands cris les rivaux alentour. Leurs pattes palmées et orangées rappellent leur mode de vie pélagique. Les Océanites les laissent souvent traîner au vent pour se stabiliser, comme par exemple dans les rafales qui remontent le Val Joli. Petit par la taille, cette espèce de pétrel n’en reste pas moins une grande voyageuse. Une campagne de mesure menée en 2020 à Dumont D’Urville a montré que certains de ces oiseaux peuvent parcourir plus de 65 000 km chaque année.
Dimanche 27 Novembre 2022
Un grand oiseau de métal plane haut dans le ciel bleu de la Terre Adélie. A son bord, quelques dizaines de touristes ont déboursé des milliers de dollars australiens pour venir apercevoir la terra australis entre deux nuages, à travers un hublot. Cinq heures de vol aller, autant pour le retour, tout ça pour une petite heure et demie de survol au-dessus de l’Antarctique. De temps à autres, le ronronnement lointain des moteurs parvient jusqu’au sol.
J’ai certainement le beau rôle, après avoir passé une année en ces lieux avec une empreinte écologique loin d’être nulle… En effet, l’Astrolabe ne fonctionne pas à l’énergie solaire et la production d’énergie éolienne à DDU n’en est qu’à ses débuts. Mais comment ne pas voir dans ces vols « pour nulle part« , la réalisation d’un caprice plutôt que d’un rêve ?
Mercredi 30 Novembre 2022
La seconde quinzaine du mois de Novembre se clôt sous de timides éclaircies… Mais ce ne sont pas ces maigres radiations qui vont améliorer le bilan catastrophique de l’insolation relevée ce mois-ci. Sous l’influence des dépressions venues de l’océan austral, le ciel adélien est resté désespérément gris ces deux dernières semaines. Pas si évident de garder le moral sous ce ciel bas et lourd !
Le déficit s’établit finalement à 42% par rapport à la normale, soit le plus faible cumul d’insolation pour un mois de Novembre depuis le début des mesures. Ainsi, il n’y a pas eu une seule fenêtre météo autorisant un tir LIDAR depuis le milieu du mois… Autant dire que Valentin, le nouveau optoélectronicien de DDU, doit prendre son mal en patience pour prendre en main son nouvel outil de travail. Heureusement, début Décembre s’annonce sous de meilleurs auspices ! Nous pourrons donc clôturer notre aventure adélienne sous des cieux enfin plus cléments.
Profitez bien de ces derniers moments Adeliens….
Retour futur en terre connue !