Clap de fin pour l’hivernage de la TA72

Dimanche 23 Octobre 2022

Il s’agit probablement aujourd’hui de l’avant-dernier jour de notre hivernage. L’avion est désormais annoncé pour Mardi. Le soleil brille encore à midi, à l’avant d’un léger voile de nuages cirrus. Je descends dans la anse du Lion, en bord de banquise, pour tenter de capturer quelques sorties de manchots Adélie. Un gros phoque de Weddell mâle se repose au soleil entre les hummocks. De grandes traces de sang indiquent l’endroit où il a pris appui sur la banquise pour sortir de l’eau. La bataille pour la constitution des harems est bien engagée…

Le repos du guerrier

Il me faut une bonne demi-heure pour remarquer que chaque sortie d’Adélie est précédée par une séquence de repérage en lisière de frasil. Tels de petits périscopes, les Adélie tendent le cou et analysent les environs avant de replonger pour passer sous la fine couche de banquise jeune. Leurs congénères les invectivent à grands cris depuis la terre ferme. J’ai le temps de me préparer à appuyer sur le déclencheur, l’objectif rivé sur le rivage. Une trentaine de secondes plus tard, les voilà qui jaillissent de l’eau, souvent en groupe, droits comme des I… Certains sont parfois un peu trop enthousiastes et se retrouvent à une bonne cinquantaine de centimètres du sol.

Un grand halo se dessine autour du soleil, témoignant de l’avancée du cirrostratus. Ce fin nuage de glace matérialise la tête de la perturbation qui glisse actuellement au nord de nos côtes. Dans le calme de la anse, une série de bruits modulés retentit, ressemblant aux bruitages d’une bataille spatiale de série B… C’est le mâle Weddell qui chante ! Après une trentaine de secondes, les trilles s’interrompent. Les scientifiques ont récemment découvert que ces mammifères étaient aussi capables de vocalises dans le registre des ultra-sons. Plus qu’un mode de communication, l’émission de ces sons pourraient également leur servir à faire de l’écho-location…

Mardi 25 Octobre 2022

Je surveille aux jumelles la descente du petit point noir vers la ligne d’horizon, au-dessus du continent. Au seuil de piste, un fumigène orange indique le sens du vent. Le Basler disparaît un temps derrière un petit volute de neige et je le perds de vue quelques instants. Je le retrouve quelques secondes plus tard, posé, devant le petit shelter météo. La radio crachote « L’avion a atterri, l’hivernage est officiellement fini ! »

Samedi 29 Octobre 2022

Perché sur au-dessus de la falaise aux fulmars, je saisis quelques oiseaux marins en vol dans l’ombre du cap des Barres. A une centaine de mètres, le Piston Bully s’active pour aplanir les congère autour de la Drop Zone de la base haute. Devant la centrale, le tracteur récupère une cargaison de bidons d’eau pour la base de cap Prudhomme. On est encore loin de la fourmilière que devient la base en campagne d’été, mais l’ambiance générale a déjà changé avec l’arrivée des premiers campagnards d’été. Pour nous, hivernants, il s’agit aussi de rendre les espaces de vie communes à leur état d’origine.

Dans le réfectoire, notre petit coin lecture a été déménagé dans l’alcôve où nous prenions nos repas quelques semaines plus tôt. Ce changement de repères, pourtant minime et attendu, est un des témoins de la fin de l’hivernage. Même si il y a de nombreuses têtes connues parmi les nouveaux arrivants, nous nous regroupons naturellement entre hivernants après les repas… Comme pour faire durer encore un peu ces instants de camaraderie.

Dimanche 06 Novembre 2022

Voilà maintenant une bonne demi-heure que nous marchons vers l’Ouest, le long de la route qui relie Pétrels au cap Prudhomme. Celle-ci ne fait que s’élargir au fur et à mesure des rotations logistiques, nombreuses depuis l’ouverture de la base annexe Robert Guillard. Dans notre dos, une averse de neige vient de dérober l’île des Pétrels à notre vue. Nous avançons dans cette atmosphère grise et feutrée en direction des petits véhicules noirs, garés en bataille dans la pente de D3. Au nord, la mer libre assombrit le ventre bedonnant des stratocumulus. Quelques phoques sont allongés un peu plus loin, au pied de la muraille de glace bleue qui défend l’accès au continent. Leur présence indique l’ouverture d’une fracture. La banquise travaille de plus en plus sous l’effet des marées et l’accumulation des trains de houle.

Téo marche avec nous, un ballon de rugby sous le bras… Nous ne sommes pas là par hasard, mais pour répondre à l’invitation des Prudhommiens. Ceux-d’en-face nous ont proposé une partie de rugby « touché » sur la banquise, au pied de l’ilôt MidWinter.

Photo Laurent De Boissieu, Institut Polaire Français

Le coup d’envoi est donné sous les derniers flocons. Le terrain de rugby le plus austral de la planète est délimité par quatre sacs banquise, reconvertis en poteaux de coin pour l’occasion. Les séquences de jeu s’enchaînent et le ciel bleu finit par gagner du terrain. Au bout d’une demi-heure, les transmissions se font plus précises. Le jeu se développe parfois jusqu’aux ailes malgré la balle glissante et les appuis incertains. En effet, les glissades sont inévitables : la glace affleure sous une petite couche de neige de printemps. La partie s’interrompt quelques instants, pour laisser traverser une troupe de manchots Adélie. Faut-il voir un message politique à cet envahissement de terrain ?

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