Chroniques d’un printemps austral, ép.II

Dimanche 16 Octobre 2022

La visibilité s’améliore temporairement entre deux rafales chargées de poudreuse. Le bureau de Samuel, notre mécanicien de précision, offre un poste de contrôle idéal pour surveiller la banquise au Nord-Est. Au bout de la piste artificielle du Lion, on commence à peine à distinguer la surface sombre de la mer, contrastant avec le gris du ciel. Au milieu du bleu marine, les silhouettes pâles des plaques de glace dérivent inexorablement vers le large. Dans la baie des Épaves entre le Lion et Pétrels, une large fissure apparaît au milieu de la banquise en quelques secondes à peine.

La débâcle atteint le Lion

La banquise se morcelle rapidement et s’évacue en mer. Alors qu’elle nous paraissait si solide, la voilà qui disparait à l’horizon en une demi-heure à peine. Il est encore difficile d’estimer les dégâts à l’Est… Pour l’heure, les îles Pasteur et Curie semblent encore prises dans la banquise. Le berg du Tiramisu qui nous a accompagné tout l’hiver est libre désormais. Il semble déjà avoir effectué un quart de tour sur lui-même, comme pour tourner les talons et tourner son regard vers le large. L’hiver desserre son emprise, le paysage redevient mouvant.

Lundi 17 Octobre 2022

J’arrive au sommet de l’île Claude Bernard le souffle court, après une rapide grimpette sur les dalles de granit rose et gris. Quelques rayons de soleil se faufilent dans les interstices de la couche de Stratocumulus. Les tâches de lumière mettent en valeur la rugosité de la mer australe, mais aussi quelques bouts de banquise (des floes) et le sommet du glacier. Les damiers et les pétrels Antarctique planent dans le courant ascendant occasionné par la rencontre du catabatique et de la falaise de la roucoulade. Le rire modulé des damiers du cap retentit de nouveau sur Bernard. A l’Est, une passerelle de glace d’une centaine de mètres de large est restée collée au front glaciaire de l’Astrolabe. Il s’agit de la zone de compression entre l’Astrolabe et Bernard. Heureusement, ce petit corridor permet encore l’accès aux grands Bergs de l’Est et aux îles Florence, Derby et Pasteur. Le transpondage et le comptage des phoques de Weddell ayant élu domicile à l’Est pourra s’effectuer demain, mais il ne faut pas traîner. Plus loin, les rochers de Curie et la Dent sont redevenus des îlots.

Jimmy face à la baie des Gémeaux
Mardi 18 Octobre 2022

Je m’arrête un instant sur la crête d’une des ondulations de glace bleue, presque translucide. Dix mètres plus loin, les vaguelettes de l’océan austral scintillent sous le soleil. Un groupe d’Empereurs marsouine à une centaine de mètres du bord. Quelques secondes plus tard, les voilà qui jaillissent de la mer et sautent à plat ventre sur la banquise. Nous n’avons malheureusement pas le temps de nous attarder sur cette idyllique plage de glace. Nous devons passer derrière le tabulaire pour entamer le recensement des phoques de Weddell et transponder les nouveaux venus.

Cela fait deux heures que nous sommes partis. La feuille de manip compte déjà une dizaine de lignes, renseignant les caractéristiques des individus croisés plus tôt : sexe, âge (veau, juvénile, adulte), numéro de série du transpondeur, taille, numéro de photos pour la base de données, etc… Un skua nous survole, avant de se poser une centaine de mètres plus loin, entre de grands hummocks dressés au pied d’un petit berg. Serions-nous passés à côté d’une « maternité » ?
Effectivement, un mâle et deux femelles accompagnées de leur veau nouveau-né font tranquillement la sieste dans cette petite cour intérieure. Entourés de hummock, le groupe a choisi un emplacement idéal à l’abri du vent et des regards. Une fracture au pied du Berg indique l’endroit où ils ont fait surface. C’est le placenta, encore tout frais et sanguinolent, qui a attiré le skua opportuniste. Désormais bien rôdés, ile ne faut qu’une demi-heure à notre équipe pour vérifier l’identité des adultes et transponder les nouveaux-nés.

Le soleil s’est couché depuis une bonne demi-heure… Nous voilà de retour derrière l’île Bernard, sur les bosses de banquise à vif. Le dégradé jaune, bleu et mauve du ciel se reflète sur la glace vive. Une colonne d’Empereurs nous précèdent, glissant sur le ventre en remontant vers la colonie. La beauté de la scène est à couper le souffle. Harassés par la marche dans la neige fraîche accumulée au vent du grand berg Tabulaire, notre groupe reste silencieux… Mais un grand sourire éclaire les visages, dans la pénombre de ce début de soirée adélienne.

Le mât vent de l’aéroport international de D10
Jeudi 20 Octobre 2022

La nouvelle agite la station depuis hier midi : le premier avion arrive Dimanche ! Dès cet instant, une course contre la montre s’est enclenchée : il faut rétablir l’électricité et l’eau courante dans le dortoir d’été, relancer le groupe électrogène de la station annexe Robert Guillard, préparer les baguettes de pain pour le prochain Raid, finir de préparer la piste de D10… Et pour les météos, remonter le mât de de mesure du vent en seuil de piste. Toute la base est à pied d’œuvre.

Avec Bertrand, nous sommes de nouveau montés sur le continent pour installer l’anémomètre. Heureusement, la température est supérieure à -10°C aujourd’hui et le vent quasi-nul. Les conditions sont idéales pour ériger le mât. Une fois l’ancrage au sol enfoui dans la neige et fixé par de solides pieux, le capteur est installé à la flèche du mât et câblé jusqu’à l’abri. Ce dernier héberge l’alimentation électrique et l’antenne qui retransmettra les informations à DDU. Avec l’aide des autres hivernants présents, il ne faut que quelques minutes pour lever le mât et tendre les haubans chargés de le maintenir en place contre les féroces rafales catabatiques. Le vent devrait d’ailleurs approcher le seuil de tempête demain (50 nœuds en moyenne). Notre installation va connaître donc son baptême du feu dès demain soir…

Samedi 22 Octobre 2022

Finalement, la météo sur la base américaine de McMurdo est trop mauvaise aujourd’hui pour permettre la première étape du périple aérien qui amènera les premiers campagnards d’été à DDU. Notre hivernage va donc se poursuivre encore pour quelques jours de plus… Pendant ce temps là, la tempête Adrien s’est déchaînée toute la nuit. Ce matin, la chasse-neige réduit encore la visibilité à quelques centaines de mètres tout au plus. La houle de Nord qui accompagnait la dépression a-t-elle de nouveau rogné la banquise ?

Les changements de temps sont souvent rapides en Terre Adélie, dans un sens comme dans l’autre. Gris et lourd ce matin, le ciel s’est dégagé en une heure à peine à la mi-journée. La mer a fini par atteindre l’alignement des grands Bergs et toutes les petites îles sont isolées de nouveau. La banquise que nous avons sillonné Mardi n’existe plus. Heureusement, la route qui relie Pétrels au Cap Prudhomme reste encore relativement loin du bord de la polynie. La liaison terrestre est importante pour faciliter les opérations logistiques menant au départ du premier Raid d’approvisionnement de Concordia. Oublieux de ces considérations trop terre à terre, deux skuas se pourchassent dans le ciel au-dessus du Mont Caroline…

Toutes les espèces nichant à DDU sont désormais revenues sur l’archipel. Les acteurs sont en place, l’été peut commencer…

3 Responses

  • Merveilleux récit et clichés comme toujours… et vous êtes toujours émerveillé… un.pur bonheur de vous lire comme toujours. Il va falloir penser à publier Adrien. …

  • 1000 mercis pour la poésie des mots et des images pendant cette année! Nous, les lecteurs, avons eu une vraie chance de vibrer sous votre plume!
    Bravo pour cette aventure humaine exceptionnelle! Prenez soin de vous pour ce retour!

  • La lectrice e-assiDDU n’aura jamais assez de mots et de mercis pour vous assurer de toute mon émotion à chaque ouverture de messages sur le blog de l’IPEV.

    Vos photos, vos messages ont contribué à me faire voyager au-delà des new’s que nous avions régulièrement de Nicolas et ce fut si précieux et réconfortant pour une maman. Merci merci mille fois….

    Marie

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