L’Antarctique ne paraît jamais aussi froide et inhospitalière que pendant les quelques semaines de Juin et de Juillet où, patiemment grignoté par la nuit, le jour se trouve réduit à peau de chagrin. Quand les nuages font preuve d’assez de clémence pour déserter les lieux, le ciel ne consent finalement à dispenser que quelques minutes de clarté grise… En ces instants, il suffit de regarder vers le large pour véritablement ressentir l’immensité de l’étendue de glace qui nous sépare du reste du monde.
Sur des centaines de kilomètres alentour, seuls quelques rares rochers s’élèvent encore vaillamment au-dessus la banquise. Mais partout ailleurs, il n’y a que de la glace, toujours de la glace, tourmentée chaque jour un peu plus par l’accumulation des épisodes de neige, de grandes marées, de catabatique. Le visage blanc de l’horizon en a perdu sa régularité originelle. Il apparaît désormais cabossé, tantôt bombé, tantôt fracturé par la rudesse des conditions hivernales. Quand un soleil rasant daigne l’éclairer un peu aux alentours de midi, les ombres des congères et des hummocks s’étirent vers le Sud, soulignant ainsi ces nouvelles imperfections. Depuis le solstice, la beauté du paysage est devenue plus sauvage.
Même les géants de l’Est ne sont pas aussi immuables qu’ils aimeraient le faire paraître. Le grand tabulaire, désormais fracturé en trois parts égales, est là pour nous le rappeler. Nous aussi, évidemment, faisons l’expérience du temps qui passe si étrangement ici, au bout du monde. Comme les icebergs, nous ne saurions en ressortir totalement inchangés.
En particulier, le silence des nuits d’accalmie établit une ambiance toute particulière sur Dumont D’Urville. Dans la quiétude glaciale de ces soirées à rallonge, le noir du ciel devient plus sombre encore, le scintillement des étoiles se fait plus vif. Durant ces heures où le catabatique reprend son souffle, seuls quelques craquements cristallins peuplent l’obscurité. Des claquements soudains dans la nuit, qui se propagent à travers la calotte glaciaire du cap des Barres.
Une nuit, la lune et les aurores australes se sont associées pour livrer un spectacle muet, grandiose. La première a docilement joué le rôle d’éclairagiste, et donné à la scène des allures extraterrestres.
*Crshhhh* Allô la Terre, ici DDU… L’équipage TA72 vit en totale autonomie depuis bientôt 5 mois. Nous avons entamé le voyage retour et comptons désormais plus de 4h d’ensoleillement. Quelqu’un a des nouvelles de Concordia ? Over*Crshhhh*
J’aime bien vos écrits. C’est très précieux pour nous si loin et très bien écrit avec des photos magnifiques… merci Adrien de nous partager toutes ces émotions à DDU.