Dann fé nwar polèr

Catabatique léger
Samedi 28 Mai 2022

Profitant d’une accalmie, je suis sorti effectuer le tour de l’île des Pétrels en solitaire, aux alentours de 14h30. Devant le cap Prudhomme, un beau mur de neige catabatique cache encore les shelters colorés de la base annexe. Des serpentins de poudreuse filent au ras du sol, parés des lumières chaudes du couchant. Ils dansent dans les turbulences, aspirés par le soleil. Je ne peux pas trop m’éloigner de Pétrels dans ces conditions météo peu engageantes… Mais à la vue de la vaste étendue vide qui me fait face et poussé dans le dos par le catabatique, je suis envahi d’une agréable sensation de liberté.

Dimanche 29 Mai 2022

Cela fait deux semaines que nous connaissons de fréquents coups de vent, quasiment tempétueux. Cependant, ceux-ci ne durent jamais plus de quelques heures. Je les soupçonne d’entretenir la grande polynie qui se trouve à quelques kilomètres de la station seulement, en brisant le fragile nilas qui tente de coloniser la surface d’eau libre pendant les périodes de calme. Les images satellites les plus récentes confirment que la grande étendue de mer libre que nous voyons depuis nos fenêtres est cernée de toutes parts par le pack et la banquise. Les manchots doivent être heureux de disposer d’une porte d’entrée aussi proche vers leur garde-manger.

Image satellite Sentinel-1, via Sentinel Hub
Mercredi 1er Juin

Adossé au hangar-ballon, je regarde vers l’Ouest les étoiles qui s’allument une à une, à mesure que mes yeux s’habituent à l’obscurité. La lune ne se lèvera pas ce soir. Le balcon s’ouvre sur le vide insondable de la nuit… Lampe frontale éteinte, sans repères visuels mais avec la caresse piquante du vent sur les joues, la situation a quelque chose de vertigineux. Le bardage métallique du hangar contre mes épaules assure une stabilité bienvenue. Même une fois que les formes éthérées de la Voie Lactée ont fini de se dévoiler, la scène reste particulièrement obscure. J’ai beau scruter les ténèbres, nulle trace de la démarcation entre le ciel et la banquise. En contre-bas, les formes irrégulières des îlots de l’archipel se perdent dans la nuit. À la vue d’une lueur orange posée sur l’horizon oriental, une nostalgie toute particulière me saisit. Je plisse les yeux… Ce n’est pas un lointain lampadaire mais Antarès qui prend son quart de nuit au cœur du Scorpion.

Vendredi 3 Juin
L’arête de neige qui monte au Mt d’Or (ressaut Il-a-rit)

Ces derniers jours, le journal de bord du Commandant Charcot me tient régulièrement compagnie. Un ancien de la TA m’avait dit que l’on ne lisait généralement pas sur l’endroit où l’on se trouve, en citant Sylvain Tesson. Il est vrai que dans cette situation (et celle là seulement), ce n’est pas une lecture qui permet de réellement s’évader… Mais il y a un certain charme à reconnaître dans les descriptions de l’explorateur les attitudes des manchots Adélie, les effets de la houle sur la banquise, l’évolution des relations humaines dans le contexte si particulier d’un hivernage « dans l’Antarctique« . Cependant, les conditions matérielles et logistiques dans lesquelles l’équipage du Français a effectué son hivernage étaient autrement plus rudes que les nôtres. Ainsi, c’est bien calé dans l’angle de ma couchette et sous une épaisse couette que je parcoure les notes du Commandant…

5 Responses

    • Bonjour, le titre de cet article est en créole réunionnais et signifie « Dans la nuit polaire » (littéralement « dans le fait-noir polaire »). Il s’agit d’un clin d’œil car j’ai eu confirmation de mon retour à La Réunion à la suite de l’hivernage 🙂

  • On voit bien que la banquise a du mal à « prendre » quand même. Tant que ça tient sur la manchotière tant mieux. Qu’en est-il des aurores ? Peut-être le truc le plus magique à voir.

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