Jeudi 13/01/21
Voilà maintenant deux minutes que le manchot hésite, les pattes plantées sur le bord de la corniche. Deux mètres plus bas, l’eau verte clapote sous l’effet du vent… Ce vigoureux zéphyr s’est établi brusquement au secteur Nord-Ouest en début d’après-midi. Sous l’effet du refroidissement éolien, le sang commence à quitter le bout de mes doigts crispés sur l’appareil. Au moment où l’oiseau finit par juger le saut trop risqué et fait mine de s’éloigner pour trouver un autre moyen de gagner la mer, quelques uns de ses congénères le rejoignent sur le balcon de glace. L’un d’entre eux plonge alors dans le vide sans se poser plus de questions. Probablement vexé et désireux de ne pas passer pour une poule mouillée devant les nouveaux arrivants, le premier volatile s’élance finalement à la suite de son courageux congénère…
Une fois réunis, le groupe « marsouine » joyeusement en petits bonds successifs dans les vagues du chenal du Lion. Les flots sont colorés par les reflets rouges de la coque de l’Astrolabe, à quai sur la berge opposée. Autant la démarche des manchots est hésitante sur la terre ferme, autant ils se révèlent impressionnants de rapidité et de fluidité dans l’océan. Dans leur environnement de prédilection, les petites torpilles au fuselage noir et blanc s’éloignent vite en direction du large.
Dans le ciel de la manchotière de la Rookerie, deux skuas profitent de l’ascendance dynamique provoquée par le vent qui bute contre le relief. Ils planent au-dessus de la colonie en lents aller-retours, les yeux rivés sur le sol à la recherche de la moindre opportunité. Gare au poussin qui s’éloignera un peu trop de la protection des adultes !
En effectuant régulièrement des passages rasants, les prédateurs jouent avec les nerfs des Adélie tout en testant leur vigilance. Ces manœuvres sont accompagnées par un concert de grognements de la part des manchots, qui ne comptent pas se laisser impressionner aussi facilement.
L’un des deux labbes finit par fondre sur un nid un peu plus exposé que les autres. Une fois au sol cependant, tout ne se passe pas comme prévu… Une petite armée se rue sur l’attaquant et le met rapidement en déroute, non sans avoir placé quelques morsures dissuasives.
Samedi 15/01/16
Cet après-midi, l’action combinée de la brise de mer et des courants marins a poussé les plaques de banquise contre la côte Nord de l’île des Pétrels. La liaison maritime avec Prudhomme a même été coupée pendant quelques heures par cette densification du pack plutôt inattendue. A travers les jumelles de la station, je surveille les petites silhouettes qui vont et viennent sur ce patchwork de glace. Il me semble distinguer la silhouette plus massive de quelques phoques allongés sur la glace sur les plateformes les plus éloignées… En quelques heures à peine, le paysage de la mer Dumont D’Urville s’est totalement transformé après cette invasion de glaçons venus de l’Est.
En sortant du séjour, je rejoins Gaëtan sur la plate-forme située derrière le laboratoire de Géophysique. Le panorama sur l’archipel, déjà magnifique d’ordinaire, prend ce soir une dimension supplémentaire. Dans les rares zones d’eau encore libre, la mer étale reflète les extravagantes teintes roses et orangées de l’horizon. Sur les conseils du chef Centrale, je n’ai pas voulu rater l’apparition fugace de ces flaques de couleur liquide. Je ne suis donc pas allé attraper mon appareil photo, vous allez ainsi devoir me croire sur parole…
Le plongeoir municipal est fabuleux… c’est trop beau et merci encore de nous partager toutes ces belles émotions au travers de vos récits….