Samedi 03 Décembre 2022
Cela fait maintenant 3 jours que la plupart des poussins Empereur se sont déplacés jusqu’en lisière de banquise. Ils attendent patiemment le moment propice pour la mise à l’eau. Leurs parents ont cessé de les nourrir et la faim les pousse désormais à rejoindre la mer pour subvenir par eux-mêmes à leurs besoins. La plupart des individus déjà présents dans la anse du Lion sont sur le point de finir leur mue. Il ne reste plus que quelques touffes de duvet gris, encore accrochées ça et là sur leur plumage imperméable flambant neuf. De loin, on pourrait croire que certains frileux portent une doudoune sans manche…
Les futurs Empereurs des mers agitent fréquemment leurs ailerons, afin de parfaire leur musculature en vue du grand départ vers le large. Quelques hululements de poussins résonnent encore, mais ce sont surtout des « coups de clairons » qui composent désormais la cacophonie émanant de la foule. La voix des poussins, devenus juvéniles, reste toutefois bien plus fluette que celle des adultes. Ces appels aigus rappellent leur statut d’adolescent. La nuit, ils résonnent jusqu’à la station, portés par le vent.
En fin de matinée, je décide d’aller faire un tour à l’abri côtier. J’espère pouvoir photographier un de ces premiers plongeons, synonyme de prise d’indépendance. De nombreux départs ont déjà eu lieu, mais il faut de la chance pour être présent au bon moment afin de les observer. Au bout d’une demi-heure à observer le groupe de juvéniles du Lion aller et venir le long de l’eau, pas pressés pour deux sous, je vais me réfugier derrière le cap des Léopards afin de me protéger du catabatique modéré. De ce point de vue abrité, je peux surveiller le second groupe assemblé au bas de la Grande Rookerie, sous le 42. Profitant du temps ensoleillé, j’admire encore le ballet des fulmars et des damiers qui jouent dans les rafales, au-dessus des eaux bleu marine. Les bourrasques dessinent des arcs de cercle sur la surface scintillante de la petite baie.
Et soudain, un gros Plouf ramène mon attention sur les juvéniles perchés au bord de la banquette. L’un d’entre eux vient de tomber à la mer, peut-être involontairement bousculé par un congénère. Le voilà qui agite frénétiquement ses ailerons en piaillant, paniqué au milieu des gerbes d’eau qu’il soulève. Perdu dans mes rêveries, je suis un peu déçu de ne pas avoir eu le réflexe de saisir l’appareil afin de capturer le plongeon. Mais l’essentiel reste d’assister à cet instant décisif dans la vie des Empereurs, ce saut dans l’inconnu imposé par la faim et l’instinct.
Et alors, probablement attirés par les cris de leur congénère, un puis deux puis trois juvéniles se jettent maladroitement dans le vide. Le groupe semble saisi d’une sorte d’hystérie collective, qui les poussent à se précipiter par dessus bord. La quasi totalité du groupe se met à l’eau, avant d’être poussée vers le large par le catabatique. Les futurs Empereurs ont plus l’air de se débattre en éclaboussant maladroitement leurs compagnons, que de véritablement nager… Ils luttent pour garder leurs petites têtes hors de l’eau, alors que le vent les entrainent toujours plus loin de la côte. Et puis au bout de quelques minutes, il me semble les voir se mettre à nager plus calmement, en direction du pack morcelé au large. Les voilà partis pour de bon, vers leur futur d’Empereurs…
Dimanche 4 Décembre 2022
Une petite foule d’Adéliens regarde vers l’Est depuis la plate-forme Lucie. Une grande dorsale noire a été aperçue au-dessus des flots calmes, derrière la piste du Lion. Muni des jumelles de la météo, je cours rejoindre les autres pour tenter d’apercevoir un souffle au-dessus de l’eau étale… Au bord d’une plaque de banquise flottant à quelques centaines de mètres derrière le hangar avion, une grande forme émerge de l’océan. Même à distance, une grande tâche blanche caractéristique se distingue nettement sur la tête de l’animal. Tour à tour, ce sont 3 ou 4 orques qui se dressent hors de l’eau pour inspecter la surface de l’îlot de glace.
Faisant mine de s’éloigner, ils reviennent rapidement à la surface avant de faire demi-tour en formant une ligne. Une grande vague se crée alors au-dessus de leurs corps massifs. La déferlante balaye le floe, manquant de peu de déloger la forme grise qui reste obstinément fixée en son centre. Cette manœuvre de chasse se répète deux fois encore, ce qui me permet de saisir quelques images sur le vif avec l’appareil photo de la station. La qualité des images n’est pas très bonne, mais la séquence reste très illustrative. Les images de Greg sont plus belles encore.
Finalement, la bande de prédateurs finit par se rendre compte de leur erreur… Si le phoque n’a pas été balayé par les 3 vagues, c’est que ce n’en est pas un ! Il ne s’agit finalement que d’un bloc de banquise brune posée sur le floe. Les orques s’éloignent tranquillement vers le Sud-Est, poursuivant leur repérage. À son tour, un manchot Empereur en train de piquer un somme sur une plaque est inspecté sous toutes les coutures… Heureusement pour lui, les épaulards ne semblent pas plus intéressés que ça, et continuent leur chemin. Ils ne sont probablement ici qu’en prospection, mais peut-être les reverrons-nous encore une fois ?
La forme des tâches blanches sur leur tête et grise derrière leur dos indiquent que ces orques appartiennent au type B. Elles seraient a priori plus spécialisées dans la traque des phoques au sein du pack, ce qui semblerait coller avec la technique de chasse que nous avons eu la chance d’observer.
Lundi 5 Décembre 2022
Le bateau est annoncé à DDU pour ce week-end, après un crochet à Macquarie. La semaine prochaine, nos successeurs nous auront rejoint en Terre Adélie. Après quelques jours de passation de consignes, il sera bien temps de leur laisser les clés de la station météo pour l’année à venir. D’ici là, il nous reste encore quelques couchers de soleil à admirer…
Merci pour votre post…. c’est toujours aussi beau.
Admirez vite et encore tous ces beaux clichés jusqu’au bout…. émotion sans doute !!