Lundi 25 Juillet 2022
Dans le calme bleu du crépuscule, les ombres grandissent en catimini au creux des dunes de neige. Doucement mais sûrement, elles avalent patiemment les dernières crêtes des congères encore éclairées. La glace du continent et des bergs de l’archipel révèle timidement ses teintes aigue-marine, auparavant dissimulées par l’éclat du soleil. Quelques colonnes de manchots mâles regagnent la mer en traçant laborieusement leur route vers le large. De temps à autre, leurs appels interrompent la rumeur du léger vent du Sud. Loïc profite finalement de ces dernières minutes de clarté pour damer la pente qui descend depuis les laboratoires de glaciologie jusqu’à la banquise. La puissante machine se met soudain à rugir en remontant à l’assaut du flanc Nord-Ouest de Pétrels.
Jeudi 28 Juillet 2022
Dans la furie rose de l’aube, la lumière touche d’abord les filaments élevés des nuages Cirrus. Quelques kilomètres plus bas, l’archipel de Pointe Géologie reste encore dans la pénombre pour l’heure à venir. Le catabatique y règne en maître, soulevant de grandes gerbes de neige fine au sommet des bergs et du glacier de l’Astrolabe. De grandes créatures aux silhouettes tourmentées se matérialisent brusquement au dessus de l’horizon Sud-Ouest, à la faveur des premiers rayons du soleil. Elles semblent se livrer à une étrange course-poursuite. Leurs formes fluides, lissées par le vent d’altitude, évoluent lentement. Le grand cheval aperçu 5 minutes plus tôt s’est déjà transformé en un grand vaisseau spatial. Je grimpe sur la terrasse de GéoPhy pour saisir cette vision féérique, au-dessus de la couche de chasse-neige levé par le vent.
Samedi 30 Juillet 2022
Dans la quiétude orangée du zénith, les strates terreuses du Tiramisu exhibent la richesse de leurs couleurs ambrées. L’élévation du soleil a sensiblement augmenté ces derniers jours. Avec Zoé et Nicolas, nous glissons plus ou moins adroitement sur la banquise, chaussés des antiques skis de fond de la station. J’ai déjà contribué par deux fois à la bonne humeur du groupe, en exécutant bien malgré moi une de mes fameuses « chutes à l’arrêt ». Une fois n’est pas coutume, le vent vient du large et le thermomètre indique -7°C. D’autres petits groupes d’hivernants partis en exploration flânent tranquillement sur la banquise avant de retourner à la base pour prendre une tisane bien méritée.
Mercredi 3 Août 2022
Sous la lumière verte diffusée par l’aurore australe, les premières bourrasques de catabatique soulèvent des paillettes de glace qui brouillent les contours déjà diffus du météore. Les draperies prennent de l’épaisseur et leur éclat se reflète soudain sur la surface enneigée du cap des Barres. Abrité derrière la congère du bâtiment technique, je profite d’une courte accalmie et tente tant bien que mal de planter le trépied dans la neige durcie par le vent. L’appareil n’est pas dans une position très stable mais le temps presse avant l’arrivée des véritables rafales… Je bâcle la mise au point, règle le temps de pose sur 15s et appuie sur le déclencheur. Il me semble déjà entendre les haubans du mât Iono qui sifflent au loin. Au moment où l’obturateur claque pour mettre fin à la prise de vue, un formidable courant d’air s’écrase sur le BT en hurlant. L’appareil est vite mis à l’abri, alors que le blizzard enveloppe brutalement la station.
D’un coup, les étoiles disparaissent derrière l’épais rideau de neige projeté dans les airs par les rafales. Seuls les rubans les plus lumineux de l’aurore restent encore visibles à travers cette poudrerie. En levant les yeux depuis le pied de la congère, j’ai l’impression d’être au fond d’un torrent et de regarder vers la surface. Les lumières des passerelles ont été éteintes pour améliorer le rendu des photos. Cette quasi-obscurité rend encore plus palpable la force du catabatique… Le blizzard, le ronflement sourd des rafales et les serpents verts dans le ciel composent un tableau furieusement exotique. A travers la tourmente, j’aperçois l’éclat rouge de la frontale de Nicolas. Comme moi, il tente tant bien que mal de battre en retraite dans le dortoir. Nous nous retrouvons dans le sas du bâtiment, la mine souriante et rougie par le froid… Ravis de cette courte balade nocturne.
Quel bonheur de vous lire, vous savez nous transmettre votre passion et votre bonheur d’être là-bas,
profitez bien